Oui, une autre Europe est possible (et la France souveraine de demain pourrait la bâtir) !
La France redevenue souveraine - ardente nécessité pour qui se prétend sérieusement démocrate - nous faisons le pari que l’Union européenne n’y survivrait pas. En sorte que nous n’aurions pas affaire à la redéfinition d’un lien entre la France et l’UE - à la manière du Royaume-Uni - mais à la décomposition d’un édifice à bout de course appelant à un acte majeur de refondation. Certains objectent malicieusement qu’on ne reconstruirait rien du tout : ils prétendent qu’entre l’UE et le choc des égoïsmes nationaux, il n’y aurait aucune alternative. Ce n’est là qu’une forme de paresse intellectuelle que nous leur laissons volontiers. Nulle surprise, évidemment, si nous retrouvons cette léthargie intellectuelle parmi l’élite progressiste au pouvoir depuis si longtemps, puisque leur marque de fabrique est le conformisme dont la traduction politique concrète est la technocratie.
A rebours de ce pessimisme que rien ne justifie, il faut envisager la fin de l’UE comme une opportunité : opportunité pour libérer les chancelleries de leurs routines impuissantes et pour stimuler une imagination politique aujourd’hui proche de l’encéphalogramme plat. Car ce qu’oublient nos indolents gouvernants qui prétendent que la machine peut être réparée après l’avoir complètement détraquée - au point, précisément, de la rendre à présent irréparable - c’est que le vieux continent ne pourra se permettre un nouveau choc des souverainetés européennes. Le monde contemporain n’est plus, hélas, européen : l’impérium occidental est passé entre les mains des Etats-Unis, la Russie conserve de beaux restes tandis que la Chine s’érige progressivement en nouvelle superpuissance mondiale. Sans même parler de la résurgence de vieilles tentations impériales régionales à l’instar de la Turquie islamo-nationaliste d’Erdogan.. En sorte qu’une dynamique non coopérative entre nations du vieux monde ne pourrait aboutir qu’à le marginaliser tout à fait, obligeant chacune à se positionner dans un jeu global sur lequel elles n’auraient pas suffisamment de prise. Or il est manifeste que ce contexte n’aura pas changé avec la fin de l’Union Européenne. Il obligera de lui-même à trouver une autre voie pour la coopération européenne. Ce qui aura changé, en revanche, c’est la libération du carcan de l’UE qui redonnera enfin sa primauté à l’initiative politique.
En somme, la France des souverainistes cassera l’outil sans scrupule - car devenu structurellement inadapté - sans cesser pour autant d’avoir à l’esprit qu’une refondation s’avère indispensable. Cette refondation devra passer par une vision stratégique qu’une France rendue à elle-même devra porter : celle, précisément, d’une Confédération européenne. Avec cette dernière, nous en finirions avec l’idée inopérante d’une « union sans cesse plus étroite » par le commerce et le droit. A part ériger un gigantesque carcan où tout volontarisme politique a disparu, cette vision « fonctionnaliste » à la sauce Jean Monnet n’aura rien su faire de fondamentalement bon pour l’Europe. Elle aura même réussi cet exploit d’offrir une réponse toute faite à ses propres déboires : toujours plus d’Europe ! Pure folie que ce fonctionnalisme qui prétend obliger les Européens à s’engager sur la voie fédérale en noyant non seulement la capacité d’action des Etats membres, mais aussi celle du collectif européen... Une fédération ne naît jamais par la magie d’un engrenage, elle est le fruit d’un volontarisme politique encouragé par les circonstances à partir d’un patriotisme naissant. Nous quitterons donc enfin ce boulevard de l’illusion trop hugolien pour inventer un cadre de coopération stabilisé et agile, sans aucune référence à un avenir fédéraliste dont il est clair qu’aujourd’hui les Européens ne veulent pas.
Une confédération composée de nations souveraines reposerait sur trois piliers :
- un espace commercial commun protégé des tierces puissances par des tarifs douaniers concertés ; pour aller vite, c’est à peu près l’Europe que nous avons déjà connu avant l’Acte Unique et l’Euro. Exit, donc, tout ce qui a été fait par la suite au titre du grand marché intérieur. Exit, le « surveiller et punir » d’une Europe obsédée par la concurrence. Exit aussi l’Euro : dans le jargon économique, il serait dit à juste titre que l’Europe ne constitue pas une « zone monétaire optimale » et, de fait, la fin du levier monétaire aura contribué à ruiner l’industrie de pays comme la France tout en facilitant un endettement déraisonnable sur les marchés financiers. La BCE cesserait donc d’exister et le levier monétaire serait pleinement restitué aux Etats-nations. La majorité qualifiée pourrait être maintenue pour fixer le tarif douanier de la confédération, mais l’unanimité serait requise pour toute signature d’un traité commercial avec une tierce puissance. La naissance de la confédération consacrerait ainsi la fin du dogme libre-échangiste (la fumeuse « concurrence libre et non faussée »).
- un espace de protection mutuelle et de coopération militaire. Les frontières européennes seraient reconnues intangibles par le nouveau traité fondateur. En outre, la solidarité militaire en cas d’agression par une tierce puissance serait réaffirmée. Libre à chacun, par la suite, d’organiser cette solidarité via l’OTAN ou en dehors de l’OTAN. Pour ne pas froisser les pays d’Europe de l’Est - et d’autres Etats - il conviendrait de ne pas remettre brutalement en cause leur attachement à l’OTAN. Cependant, une référence explicite à l’OTAN dans le traité serait contraire à la vision d’une « Europe européenne » et ne pourrait donc y figurer. Aussi y aurait-il lieu de détacher le principe politique, c’est à dire l’assistance mutuelle en cas d’agression, de son application concrète (par le biais de l’OTAN ou par la libre coopération des armées nationales). La coopération passerait par la constitution de corps d’armées associés - notamment pour mettre sur pied une capacité de projection commune sur des théâtres d’opération extérieurs à l’Europe) - mais aussi, et peut-être surtout, par une entente industrielle forte. L’enjeu sera rien moins que de permettre aux Européens d’éviter d’acheter du matériel étranger à la confédération pour équiper leurs armées nationales. Sans quoi nos indépendances respectives seront menacées.
- un espace de coopération politique autour de quatre domaines : l’industrie, l’agriculture, le spatial et la culture. Ici les coopérations se feraient autour de projets et seraient libres. L’initiative appartiendrait aux Etats membres, et non à une Commission non élue et jalouse de ses prérogatives. Plutôt que d’imaginer d’improbables politiques communes - ce qui supposerait un État commun qui n’existe que dans les têtes rêveuses des européistes - il s’agirait de construire et de faire vivre des projets communs : par exemple dans le numérique (construction d’un moteur de recherche européen, aide à des industries jugées stratégiques) ou encore dans les nanotechnologies etc. Chaque État serait libre de participer à ces projets, aucune contrainte ne les obligerait. C’est ici que nous retrouvons la volonté et l’agilité dont je parlais plus haut.
Ceci posé, reste la question des institutions. L’organe principal serait le conseil stratégique européen. Il réunirait les chefs d’Etats et de gouvernement de la confédération et aurait la tâche de prendre les grandes décisions affectant la confédération. Deux organes politiques lui seraient associés : un conseil de défense d’une part et un conseil industriel et commercial d’autre part. Une commission d’appui et d’organisation composée des « ministres des affaires confédérales » de chaque État membre et de fonctionnaires confédéraux serait la cheville ouvrière de la coopération politique européenne. Cette commission serait présidée chaque année par deux Etats membres : un grand État et un petit État. Son rôle - considérable - serait de susciter et d’aider à la réalisation des projets décidés par les conseils. Il pourrait proposer et impulser, mais non point décider. L’actuel Parlement européen n’aurait pas vocation à subsister : véritable simulacre de démocratie alors qu’il n’y a pas d’Etat européen, il n’a pour fonction que d’apporter une pseudo caution démocratique à l’actuelle Union européenne (via la « co-décision »). Dans la Confédération de demain, la démocratie serait nationale au même titre que la souveraineté. On ferait donc des économies en même temps qu’on se débarrasserait de cette institution douteuse. Dans le même esprit - et même si elle n’est pas une institution de l’Union européenne - il faudrait se débarrasser de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Ce pouvoir des juges au-dessus des nations n’est en effet pas concevable dans des démocraties où, par définition, la Constitution représente le seul texte juridique suprême. On ramènerait utilement l’Etat de droit à l’échelle où il est vraiment vécu : celui de la démocratie nationale. Et chaque peuple vivrait comme il l’entend, sans que des juges illégitimes prétendent leur imposer leur propre conception des droits de l’homme. Là encore, et du même coup, nous ferions tous d’utiles économies.
Dernière interrogation après cette brève esquisse dont l’objectif n’est que de donner une idée générale de la configuration institutionnelle d’une possible confédération européenne, celle de son dimensionnement. Les Etats membres actuels de l’UE ainsi que la Grande-Bretagne pourraient bien-sûr en faire partie, mais uniquement s’ils le souhaitent. S’ils ne le souhaitent pas, il faudrait imaginer un statut « d’Etat associé » qui leur permettrait au moins de participer à l’espace commercial commun sans pour autant être partie prenante à l’Europe des projets, d’essence plus politique. Ce statut d’Etat associé pourrait aussi faciliter le rapprochement des Etats européens et de la Russie dans la mesure où la logique de l’OTAN ne l’autorise pas aujourd’hui. Pourtant, la géographie européenne n’est pas celle des Etats-Unis, et c’est une erreur profonde que d’encercler la Russie et de la tenir en suspicion permanente. Dans la tension inévitable qui s’ouvre avec la Chine, tant l’Europe que les Etats-Unis auraient intérêt à se rapprocher de la Russie. Et l’inverse est vrai pour cette dernière, tant le déséquilibre avec une Chine industrielle et populeuse se fera sentir dans les années qui viennent.
En conclusion, nous espérons avoir montré qu’une autre Europe est possible, que tout dépend d’une capacité renouvelée à proposer et agir - capacité qui n’existe pas dans l’actuelle UE qui est un carcan insurmontable - et que l’esprit rabougri que les progressistes prêtent aux souverainistes est en fait un miroir où se dessine leur propre reflet. La mascarade, en effet, a assez duré : les tenants du monde d’hier, du conservatisme et du conformisme, avec pour résultat l’affaiblissement et l’assujettissement du vieux continent, ce sont eux. Leur Europe est le cimetière des démocraties et de la volonté politique. A nous, patriotes républicains souverainistes, de reprendre le flambeau.